Elle a peur maintenant, terriblement peur. Chaque
soir, cette foutue peur qui pèse de plus en plus lourd dans le bas de son ventre. Une
peur bien plus vaste que sa peur à elle, une peur qui lui échappe et ne lui
appartient plus. La peur irrationnelle d’une enfant inconsolable liée à vie à ce qu'elle est aujourd'hui. Ce soir dans
le noir pourtant pas inquiétant de sa chambre, des images de catastrophes
improbables défilent
et nourrissent l’angoisse. Son cœur s’emballe, même les bruits innocents de l’autre côté du
mur chez le voisin solitaire aimable et tranquille lui paraissent suspects.
Alors elle se lève, allume la lumière et va à la fenêtre s’assurer que la rue
n’est pas en feu, que la vie suit son cours normal d’un soir ordinaire. Deux
trois ados alcoolisés aboient des mots que seuls eux-mêmes sont capables de comprendre, des policiers
sur leurs vélos se donnent l’air de gérer la sécurité de la ville entière,
le café à l’angle est ouvert. Tout le monde est là. Elle laisse la fenêtre à
sa rue et commence à écrire. Elle écrit sa peur qui la domine d’une main de
fer, elle écrit en pensant aux autres, ailleurs, terrifiés pour de bon dans le froid et
dans la nuit, et à ceux partis il y a longtemps mais pas tant que ça, pas assez
pour qu’ils n’aient totalement disparus des mémoires et n’errent de temps à
autre dans ses rêves.
Elle écrit des lignes, vaines tentatives de faire disparaitre sa peur six pieds sous terre.