Un avion décolle un autre derrière atterrit, et un autre encore
l’air aussi léger que ceux de papier
croisant leurs trajectoires dans un rayon aveuglant entre deux nuages noirs
au loin les éoliennes ne bougent plus et attendent un signal.
Ils roulent depuis des heures sans s’arrêter.
Une usine lance une fumée blanche aussi vaste que les étendues qui l’entourent.
Dans la voiture pour la première fois il dit quand je ne serai plus là.
Une conversation sans importance
elle ne répond rien et écoute l’écho de cette phrase
lui souffler que cette absence-là aucun paysage ne la comblera.
Elle continue d’énumérer tout bas tout ce qui passe derrière la vitre,
ça va trop vite,
ça l’énerve.
Il sourit au son de ses murmures contrariés, se demande si ils arriveront avant la pluie.
Elle aimerait qu’il pleuve avant qu’ils n’arrivent
une bonne vieille pluie de gouttes lourdes et serrées qui les obligeraient à s’arrêter,
le temps que ça passe
le temps de faire durer encore un peu le voyage.
Mais trois pauvres gouttes seulement,
puis les premières briques rouges et humides de la ville qui approche.

Elle s’allonge à même le sol de la maison vide, comme elle se coucherait sur la tombe d’une vieille amie qu’elle serait venue visiter pour partager deux trois bons souvenirs. Elle est revenue ici se rappeler de chaque pièce baignée de sa lumière particulière d’un soleil de fin de journée ou d’une lampe qu’on allume aux premières ombres du soir. Elle se rappelle du silence de la chambre, de la porte qui s’ouvrait tard dans la nuit, du café qu'elle préparait tous les matin dans la petite cuisine. Elle pense à tout ce qu’elle a minutieusement, patiemment - avec l’acharnement et tout le sacré que demandait l’affaire - injecté dans chaque parcelle de ce lieu pour qu’il soit à l’exacte image du refuge parfait.
De de l’eau a coulé sous les ponts, des lieux et d'autres matins aussi, ce qui l’amène ici aujourd’hui allez savoir, ce qui l’attire toujours vers ces maisons qu’elle a désertées, je ne sais pas non plus, je ne sais pas cet étrange attachement aux murs, comme si de son souffle par magie elle en faisait des êtres vivants qu’elle ne pouvait plus alors quitter pour de bon.


C’est pas grave qu’il y ait des gens autour, il les connaît, c’est pas grave, de toute façon à cette heure plus personne fait attention. Il a tenu pourtant depuis des mois, des semaines et des jours il tient. Mais à cet instant de la nuit il ne tient plus, je le vois dans un coin sombre de la pièce se plier sur lui-même, sa tête entre ses mains, sa fatigue, l’alcool et cette musique, qui mettent à terre tous ses efforts pour garder la face. Mais il s’en fout finalement de ne plus faire face et de rester comme ça sans rien cacher, je crois même que ça lui fait du bien.
Il partira à l’aube, marchera lentement dans les rues vides et encore noires jusqu’au premier train de 6h30 qui le ramènera chez lui.
Il regardera un peu amusé un peu effrayé tous ces hommes d’affaires encravatés dans leur royaume, dossiers ouverts sur leurs genoux, écrans allumés et toutes leurs batailles à gagner. Ils ne profiteront pas du trajet pour grappiller un peu de sommeil, non non on ne dort pas, on ne dort plus, arrivé à quai il sera trop tard.
Lui, il ne quittera pas des yeux le jour levant et les champs qui disparaissent dans une brume épaisse à l’endroit même de l’horizon, en se laissant gagner par le calme que la nature derrière la vitre lui insuffle.

Un soir d’été, assis autour de la table sous la terrasse couverte, on regarde tomber l’orage en silence. Personne ne se donne la peine qui d’ordinaire anime et prolonge la conversation. Comme si le poids de la pluie, les arbres immenses, la lumière improbable du ciel imposaient de se taire et d’aller s’isoler pour observer plus à l’écart le tableau.
Puis, comme attiré par l’herbe mouillée, on irait irrésistiblement s’allonger, éparpillé dans les herbes hautes. Et chacun étendu face contre ciel, laisserait venir lentement à lui, en une timide illusion transparente, le grand absent du jour ou de sa vie. Son double, son jumeau, son inventé, un amour, mort, vivant, parti depuis des lustres. Celui qui ne se pointe jamais ailleurs que dans notre tête inconsciente.
Et bien, pour une fois il serait là. Ils seraient là, tous, près de nous réellement, allongés contre notre peau, dans nos mains ruisselantes. Le temps que passe l’orage, ils nous feraient l’honneur de leur présence avant de disparaître à nouveau, aussi sec.

Son casque sur les oreilles il monte le son à en avoir des acouphènes à vie.
Pas grave, chaque décibel l’isole de la tentation de hurler plus fort que la musique.
Ses lèvres articulent les paroles mais c’est tout, il ne chante pas. Il attend.
Et au bout de ce déferlement, ça y est, il part, il est parti, ne calcule plus rien de ce qui se passe ni ici,
ni dans la pièce à côté. Il est parti, dieu sait où, et jamais on ne l'entendra crier.

Elle lui écrit qu’ici tout va bien, elle a même dit très bien pour être sûre, elle a fait quelques blagues pour montrer que c’était vrai, sans donner trop de détails pour pas pousser le mensonge trop loin quand même. Elle a écrit tout ça méthodiquement, comme d’habitude, fidèle à la comédie qui se joue dans chaque mail envoyé.
Je vais très bien.
Et elle pense à ces conversations imaginaires qu’elle entretient avec lui régulièrement.
Elle y raconte les petites vérités de sa vie, il n’a jamais peur de les entendre et il ne trouve jamais ça mauvais.
Ma petite, tu te débrouilles très bien.
Voilà...voilà... voilà...

Les gens passent autour silencieusement, se figurant sans doute que vous êtes en train de prier douloureusement planqué à l’écart sur votre petite chaise, alors que non vous êtes juste en train de vous reposer un peu du bruit extérieur, les yeux fermés devant les bougies d’un saint quelque-chose. Et vous pouvez rester comme ça dans une paix royale autant que ça vous dit sans qu’on vous regarde une seule fois de travers. Celui-là comate gentiment sans bouger et sans complexe depuis un long moment, comme si ici tout était sous contrôle, comme si son sommeil était à l’abri de toutes les épreuves qui de toute façon ne franchiraient jamais cette porte.


En attendant un signe, en ignorant les heures, elle chante tout bas un air qui semble venir d’une autre vie. Aux pieds, ses nouvelles chaussures rouges. Il ne viendra probablement pas. Absente à tout ce qui l’entoure, elle commande un autre verre, écrase la dixième cigarette et continue de chantonner, pas l’air contrariée du tout par cette attente prolongée.

Personne n’a remarqué ce que ça a soulevé en elle
quand la minuscule probabilité en une seconde a tourné au vide, au vent, au rien.
Rien à dire et rien à faire,
sauf s’arranger le plus brillamment possible avec cette impossible déception.

A rester planté sans cesse sur le quai à l’heure du premier train, à sentir passer sur son visage le souffle imposant de l’un qui part sur la droite, et de l’autre qui arrive sur la gauche, il se dit qu'il voudrait monter dedans, même sans valise, même sans idée et sans conscience, juste pour l'interminable plaisir de quitter le quai.


Il sait bien qu’il doit s’arracher sans envie de ce matin aussi doux et rassurant qu’une vieille connaissance, et dans lequel il aimerait qu’on le laisse traîner encore, qu’on le laisse là, qu’on l’oublie là un instant.
Alors il attend la fin du matin à ne rien faire que regarder la pièce et les choses qui l’entourent. Et quand le jour inévitablement se pointe, il finit par quitter les lieux au son de vieilles musiques qui redonnent quelques couleurs à des histoires classées, depuis le temps.

Elle marche vite et droit devant, comme si il n’y avait rien d’autre à faire que cela
pour que passe ce qui la vide de ses mots, et lui donne envie de se planquer des passants.
Elle fonce la nuque tendue vers le haut, supposant les histoires des gens derrière leurs fenêtres éclairées. Au bout d’un moment à porter ses pas de la sorte et à chercher plus haut diversion à son agitation, elle sent que ça s’en va, ça la quitte, et d’un pas plus lent, elle rentre chez elle.

Chaque jour dans les rues du quartier,
il marche la tête indéfiniment baissée
au rythme lent d’une infinie tristesse.
Et je me demande sous le poids de quelle folie,
de quels alcools ou de quel bonheur perdu pour de bon,
ses épaules se plient et sa tête ne se lève plus.